C'est en effet ce matin que j'apprends la nouvelle
en lisant un édito de Périco Legasse dans l'hebdomadaire Marianne Il avait 84
ans. Pour tous ceux qui apprécient les vins de Bourgogne, son nom sera à tout
jamais attaché au célèbre "clos Parentoux" mais il restera également
l'un des vignerons emblématiques de Vosne-Romanée et plus globalement de -Nuits et de Bourgogne .
"C'est la nature qui doit être notre guide,
c'est le terroir qui impose sa loi, c'est le climat qui l'infléchit. Bien
évidemment c'est au vigneron de déjouer les pièges d'un climat capricieux (..).
S'il y réussit, il peut amener en cuverie un raisin le plus sain possible et le
vin pourra se faire de la façon la plus naturelle qui soit, aujourd'hui comme
hier", affirmait-il en 1997 sous la plume de Jacky Rigaux.
Je reprends ci-après un entretien qu'il avait accordé à Jacques Perrin , journaliste suisse, et repris dans le blog du Grand Jury Européen .
Quels furent vos premiers maîtres ?
Mon premier maître fut René Engel avec qui j’ai
passé un diplôme d’œnologie en 1942. Mais je n’oublie pas mon père, qui était
un très bon vinificateur. A l’époque, le vin se faisait un peu au pif. Comme
seul outil de travail, on avait un mustimètre, ce n’était pas très précis...
Les œnologues sont arrivés plus tard. J’en suis à mon cinquième. Je leur
amenais mes vins à analyser. Il faut dire toutefois qu’on arrivait à percevoir
beaucoup de choses à la tasse (le
tastevin). Pour moi, c’est quand même toujours la dégustation à la tasse qui
prime. Par exemple, les trois premiers vins que j’ai amenés à l’analyse cette
année (2003), je savais en les goûtant qu’ils ne contenaient plus de sucre.
L’analyse est simplement venue confirmer mon jugement sensoriel.
Quelles étaient les grandes références en Bourgogne
à ce moment-là ?
A l’époque, les petits domaines vendaient en
raisin, les domaines moyens vendaient en vin et les domaines importants
faisaient un peu de bouteilles mais pas à 100 %. A l’époque, il y avait la Romanée-Conti, Belair, les
N’y avait-il pas à cette époque-là quelques
domaines dont on parlait et que vous auriez pu visiter ? Comme les jeunes l’ont
fait plus tard avec vous ...
Non. Pas vraiment. Je n’ai pas eu de références. On peut dire que je suis un autodidacte,
je me suis fait tout seul.
Comment peut-on avoir à 20 ou 25 ans le sens du
grand vin si l’on n’a pas de références pour se paramétrer ?
J’ai fait des vins comme je les aimais, c’est tout
bête ... Et comme j’avais une bonne gueule, que j’aimais ce qui était très bon
et que j’ai une femme qui cuisine très bien, on ne mangeait pas n’importe quoi.
Même quand on allait aux vignes, on avait de la cuisine qui était bonne. En ce
qui concerne le vin, c’était la même chose. J’ai corrigé petit à petit les
défauts, enfin si c’étaient des défauts ... les choses qui me plaisaient moins. Par exemple, il y a une chose que je n’aime pas, c’est le tannin. Le
tannin, il en faut certes, mais il doit être extrait avec finesse: uniquement
les tannins de la peau, cela suppose qu’on pige avec délicatesse. Les tannins
sont surtout contenus dans les pépins, et c’est rare qu’on ait vraiment pu vendanger au maximum de maturité ... Pour
revenir au 2003, c’est d’ailleurs la première fois que je vois des pépins et
des rafles complètement mûrs !
C’est la première fois où vous auriez pu ne pas
égrapper ?
Oui, pratiquement ... Ce que je n’aimais pas en
dégustation – et que je n’aime toujours pas – c’est de sentir arriver le tannin
trop tôt, qui vous empêche de jouir de
la qualité du vin. Vous avez ce tannin qui est là, qui vous ennuie, vous ne
sentez pas si le vin est floral, s’il est fruité, vous ne sentez rien du tout
finalement.... Les gens qui font des vins comme ça vous disent qu’il faut
attendre 10 ou 15 ans. Je suis parti du principe qu’un vin doit toujours être
bon à boire. Il ne faut pas pénaliser le client qui achète le vin en lui
disant: “attendez donc 10 ans pour le boire !” Dix ans plus tard, le
client n’est peut-être plus de ce monde
ou le vin est passé, ou il gardé ses tannins acerbes... J’ai donc modifié ma
vinification en me disant : des tannins il en faut mais pas trop, donc éraflage
total et fût neuf.
Votre père
élevait déjà en fût neuf ?
Mon père a toujours mis en fût neuf parce que dans
le temps, on vendait “logé”. On vendait le fût en même temps que le vin. Tous
les fûts qui partaient en Angleterre à l’époque, ne revenaient jamais. Donc,
tous les ans, il fallait renouveler la futaille. Par exemple, une année comme
1934 qui était une année où le vin avait “craqué“ d’une façon extraordinaire,
ça valait 300 FF logé et le fût lui-même valait 100 FF.
Entre vos premières vinifications et celles qui
vous faites 50 ans plus tard, quels sont
les changements ?
Bien sûr, je ne suis pas resté statique. J’ai
essayé de comprendre, de suivre la nature. Il y a eu des progrès dans les
vignes. Je ne suis pas favorable aux clones. J’ai toujours fait mes greffes. Je
faisais du défonçage à la main à l’époque. Toutes les plantations se sont
faites à la bêche. Donc je connaissais bien la configuration du terrain. Je
savais à quels endroits se trouvaient
les roches. On savait quels porte-greffes il fallait mettre. Il y en avait 3
principaux : le 3309, le 161.49 et le Riparia qui était le meilleur mais qui
était le plus difficile à greffer car il s’effilochait à la greffe. En plus, la
reprise sur ce porte-greffes n’était que de 30 ou 40 %. Soit-disant, il ne
fallait pas mettre du Riparia sur
Riparia. Moi je n’ai pas écouté, j’ai voulu faire, sur Les Lavières à Nuits,
une expérience qui, du reste, a très bien réussi ! Il ne faut pas toujours
écouter ce qui se raconte. Il faut faire ses expériences personnelles. C’est ce
que j’ai toujours fait. Je lisais beaucoup mais je fais mes choix. Je reste
d’ailleurs abonné à de nombreuses revues spécialisées.
Cela dit, il y a encore des vignerons qui vinifient
comme leur père vinifiait et qui n’ont pas évolué d’un poil. Il y a des fils
qui n’arrivent pas à faire bouger le père, il y a des pères qui sont vraiment
des “têtes de lard” de ce point de vue-là !
1978, c’était le premier millésime du Cros
Parentoux ...
Oui, c’est cela. C’est avec ce millésime que j’ai compris le potentiel de cette appellation qui n’était pas connue du tout. Une dégustation des 1978 aété organisée par le Wine Spectator aux Etats-Unis et parmi les 5 premiers vins, figuraient 4 de mes vins ! Cela m’a fait connaître dans la grande restauration car les Américains qui venaient en France demandaient aux sommeliers français :”Vous n’avez pas des vins d’Henri Jayer ?”
Quelles sont vos plus grandes émotions de
dégustations de vins de Bourgogne ?
Je vous dirai que je les ai eues surtout avec les
vins blancs. J’avais eu l’occasion par exemple de déguster des Montrachet 1966
du Marquis de Laguiche. C’était l’année de la première communion de ma nièce et
mon frère connaissait bien le régisseur du Marquis de Laguiche qui était le
curé de Chassagne. Il m’avait emmené avec lui afin que je donne mon opinion sur
le vin et voilà qu’on atterrit chez le curé de Chassagne, un bon vivant... Il
nous fait descendre dans sa cave personnelle où se trouvaient deux pièces de
Montrachet 1966 que le Marquis de Laguiche lui avait données pour sa
consommation personnelle. Comme il en vendait un petit peu, je lui ai demandé
:”Vous les vendez combien ?” - “20 francs la bouteille !” J’ai dit à mon frère,
tu peux en acheter pour la noce de ta fille. Moi j’en ai pris 120 bouteilles.
On en buvait 5 ou 6 bouteilles par an, voire jusqu’à 10 bouteilles, j’en ai eu comme ça pendant une
quinzaine d’années et les deux dernières bouteilles que j’ai bues commençaient
à être un peu sur le retour. Je me suis dit : tant mieux, il ne m’en reste plus. Voilà le plus grand vin blanc que j’aie bu. En revanche, sur les rouges,
j’ai eu moins le déclic, même dans les plus grands domaines. L’exceptionnel,
c’est vraiment rare !
Que pensez-vous de la génération actuelle des
viticulteurs bourguignons ?
Ils ont beaucoup évolué. Ils savent que l’œnologie,
c’est une base qu’il faut connaître mais que ce n’est pas la panacée quand
même. Si vous donnez un vin à faire à un
œnologue, il n’est pas bon en règle générale car ils le font d’une façon trop
chimique, ils veulent tout rééquilibrer alors qu’il y a des années avec un
déséquilibre inhérent à l’année qui fait que le vin est bon, justement... Je
pense que les meilleurs vins sont ceux qui sont faits avec les tripes. On fait
du vin comme on l’aime. Moi, si on me demandait de faire des vins tanniques, je
les louperais...
En dehors de la Bourgogne quels sont les vins que vous aimez?
Les Bordeaux ! J’ai eu l’occasion d’en déguster pas
mal grâce à un ami belge qui était négociant. J’ai eu la chance notamment de
déguster tous les grands vins dans les années 1947 et 1949, millésimes qui
n’ont pas été refaits. Je me souviens du premier vin de Bordeaux dégusté,
c’était un Croque-Michotte chez un ami du Poitou. Ensuite, j’ai eu l’occasion
de me rendre à Bordeaux et je me suis rendu compte que si l’on n’était pas
introduit... Un samedi, on débarque dans le Médoc avec ma femme et notre VW en
se disant, on déjeunera dans le Médoc... Tu parles, il n’y avait que dalle: on
a mangé une choucroute dans un routier, en buvant de l’Alsace! J’ai essayé
d’entrer dans les châteaux, les portes étaient fermées. Le seul château qu’on a
pu visiter, c’était Haut-Brion parce qu’on avait une recommandation. On a fait
une arrivée avec notre Coccinelle, je ne vous dis pas ... Plus tard, j’ai été
invité à Lafite avec ma femme. On a couché au château. On avait un majordome à
notre disposition. C’était la vie de château ! Vous savez j’ai eu un parcours
extraordinaire car j’ai eu l’occasion de visiter un tas de choses que peu de
vignerons ont l’occasion de faire.
Si vous aviez pu choisir votre métier au départ,
est-ce que vous auriez choisi le vin ?
Pas du tout! Je voulais être aviateur ! J’attendais
d’avoir 18 ans pour aller à Ystres suivre la formation de pilote de chasse.
Entre temps, la guerre s’est déclarée et mes deux frères sont allés au Front.
Mon père m’a dit :”Henri, tu restes là...” Il n’était pas question à cette
époque de discuter les directives paternelles. Donc, on peut dire que je suis
resté accidentellement à la maison. Cela dit, je ne le regrette pas et on peut
dire que je n’aurais pas eu une vie comme ça si j’étais parti... Tous les
grands restaurateurs sont devenus des amis. Je me suis fait plein de contacts.
Comment voyez-vous l’avenir des vins de Bourgogne
?
Il va y avoir une crise, elle a d’ailleurs déjà
commencé. Sur certains marchés, cela devient plus difficile, notamment aux Etats- Unis. Il faut préciser que ce sont surtout les vins de Saône et Loire qui souffrent et les petites appelations. Je ne me fais pas de souci pour les appellations
prestigieuses. Cela dit une crise est toujours salutaire et doit être
l’occasion de rebondir. Certains vont souffrir : il faudra qu’ils s’adaptent
... ou qu’ils passent la main. Sans doute va-t-il y avoir une transformation de
la taille des propriétés. On aura moins de petits domaines, ce qui est dommage
car ce sont souvent les petits domaines qui font les meilleurs vins...
que devient sa fille anne marie jayer
Rédigé par : pavis | 25 novembre 2011 à 14:13